Composition

«Comment fait-on pour composer de la musique?» est une question qui m'a fasciné dès mon enfance, et avec le recul il me semble que j'ai passé jusqu'ici une grande partie de ma vie à essayer d'y répondre. Dans mon enfance, cette question m'intriguait singulièrement, parce qu'il me semblait que c'était une sorte de secret d'initiés. Personne, pas même mes professeurs de musique, ne semblait pouvoir me dire comment on faisait. Je rêvais de pouvoir un jour aller chez un professeur de composition qui m'enseignerait cet art mystérieux.

J'ai noirci maladroitement quelques pages de papier à musique jusqu'au jour où, vers l'âge de quinze ans, j'ai demandé à mon professeur de clavecin, Pierre-Alain Clerc, de m'expliquer les règles de composition des morceaux qu'il me faisait jouer. La semaine suivante, il m'a apporté une copie du traité de basse continue de Dandrieu, qu'il venait de recevoir lors d'un cours donné par Jesper Christensen, à qui l'on doit la redécouverte de cette discipline fondamentale. J'ai alors appris l'harmonie de manière pratique, comme on le faisait au XVIIIe siècle. A partir de ce moment, j'ai commencé à improviser au clavecin et au violon. J'ai également pris l'habitude d'analyser tous les morceaux de musique que je jouais, et si possible tous ceux qui me tombaient sous la main. J'essayais aussi, mais encore sans succès, de composer des pièces en imitant celles que j'avais analysées.

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A dix-sept ans, j'ai fait la connaissance du facteur d'orgue Jean-Marie Tricoteaux. Suite à cette rencontre, j'ai décidé de devenir facteur d'orgues, mais en réalité, j'avais surtout envie d'apprendre à improviser à l'orgue comme lui, car il avait une facilité pour improviser dans de nombreux styles, que beaucoup d'organistes professionnels lui enviaient. J'ai donc travaillé quelques temps dans la facture d'orgue, puis j'ai fait une formation de professeur de musique. Dès cette époque, j'ai énormément appris grâce à Jean-Marie Tricoteaux, qui a inspiré (et inspire encore) beaucoup d'organistes par ses instruments et par sa réflexion sur la musique.

A dix-huit ans, ayant décidé de consacrer une année à acquérir les bases de l'orgue, j'ai pris en outre des cours de composition avec Lucian Metianu, à Lausanne. J'y ai découvert l'approche "contemporaine" de la composition. J'ai compris que ce n'était pas ma voie, mais j'ai aussi appris beaucoup de choses passionnantes auprès de ce merveilleux professeur, et j'ai commencé à composer "de tête".

Le déclic s'est produit l'année suivante, pendant mon service militaire. Un soir de sortie, en jouant de l'orgue, j'ai découvert une petite fugue à trois voix de Buxtehude, et pour la première fois j'ai eu le sentiment d'avoir trouvé un modèle pas trop compliqué, que je saurais plus ou moins imiter. J'ai alors eu le temps de me concentrer des journées entières sur quelques notes, pendant des mois, ce qui m'a donné une bonne base.

A la même période, j'ai découvert les compositions de Johann Michael Bach, puis – et surtout – de Johann Pachelbel. J'étais fasciné par les chorals arrangés en polyphonie avec un cantus firmus, et j'ai trouvé dans l'école de Pachelbel des modèles à ma portée. Par la suite, j'ai continué d'étudier l'oeuvre de Pachelbel dans cette perspective.

En 1997, j'ai créé le Festival de Musique Improvisée de Lausanne, ce qui m'a permis de rencontrer beaucoup de musiciens oeuvrant dans le même sens, et d'apprendre énormément de choses à leur contact, en particulier:
- Jean-Yves Haymoz, pionnier de la redécouverte des techniques historiques du contrepoint Renaissance,
- Rudolf Lutz, merveilleux improvisateur et pédagogue très sensible,
- Michel Bignens, le plus génial improvisateur que j'aie rencontré,
- Freddy Eichelberger, qui nous a fait découvrir les basses obstinées de la Renaissance,
- William Porter, grand maître de la musique nord-allemande,
- Jean-Pierre Leguay, un vrai magicien du son,
et bien d'autres...