Georges Brassens compositeur
vendredi 19 août 2011 dans la série "Musique en mémoire" de la Radio Suisse Romande - Espace 2 au micro de David Meichtry Georges Brassens est
– dans le
domaine de la chanson – un grand compositeur. On parle peu de
sa
musique. Il est apparemment plus facile de parler de ses textes, et il
existe un grand nombre de livres qui expliquent son vocabulaire, qui
analysent ses thèmes, sa rhétorique.
Heureusement, il
existe un entretien fait en 1979 avec Philippe Nemo, dans
lequel
Brassens parle de son rapport à la musique.
On dit très souvent que chez Brassens, c'est surtout le texte qui compte. Or, lui-même dit qu'il a d'abord été attiré par la musique. C'est la musique qui l'a amené à écrire des vers. Il est difficile de parler de la musique d'une chanson. Une chanson, c'est quelques lignes de mélodie avec des accords, très peu de chose apparemment. Mais en réalité, il est très difficile de faire une bonne musique avec si peu de notes. Il n'y a pas de place pour l'approximation. Brassens est un auto-didacte en musique. Il a appris à jouer des accords d'abord au piano, puis à la guitare. Mais tout d'abord, il a commencé par apprendre, dès l'enfance, toutes les chansons qu'il entendait. Il avait une mémoire phénoménale: il pouvait retenir par cœur des textes entiers en les ayant lus une seule fois. Il disait qu'il connaissait des milliers de chansons, ce qui est probablement vrai. Il était très éclectique et aimait toutes sortes de chansons, de styles très différents. Sans formation théorique, il possèdait cependant un instinct très sûr, et était très conscient de ce qu'il faisait. Pour produire des chansons d'une telle qualité, Brassens travaillait énormément. Il mettait en moyenne un mois pour en faire une. On connait les brouillons de ses textes, et on voit à quel point il les remaniait jusqu'à obtenir un résultat parfait. On sait par exemple que la «Supplique pour être enterré à la plage de Sète» est restée inachevée pendant dix ans, jusqu'à ce qu'il trouve la chute. Pour la musique, on le sait moins, il travaillait de la même manière. Il faisait sept ou huit musique pour chaque chanson, et gardait la meilleure. On n'a pas encore publié les bandes magnétiques sur lesquelles il enregistrait ces «brouillons» de musique. Brassens ne faisait presque jamais la musique et le texte simultanément. La plupart du temps, il procédait de manière classique, c'est à dire qu'il écrivait d'abord le texte, et cherchait ensuite la musique. C'est la structure du poème, c'est à dire le rythme des vers, qui déterminait la forme de la musique. Le poème est comme un moule dans lequel il faut couler la musique. La qualité des musiques de Brassens, c'est qu'elles tiennent aussi sans le texte. Dans une bonne chanson, le texte, la musique, l'harmonie doivent tenir le coup tout seuls, et c'est le cas chez Brassens. C'est ce qui explique qu'il existe plusieurs enregistrements des musiques de Brassens en version instrumentale. Au moins deux ont été faits de son vivant, et d'autres ont été faits par la suite. Il faut bien réaliser que le fait que les musiques de Brassens puissent tenir le coup en version instrumentale, ce n'est pas évident du tout. Par exemple, on peut le comparer avec Jacques Brel. La plupart des gens pourraient être tentés de croire que les musiques de Brel sont meilleures que celles de Brassens. Or, on a fait du vivant de Brel un disque instrumental de ses musiques, qui n'a pas marché du tout et est introuvable aujourd'hui, et il n'y en a pas eu d'autres ensuite à ma connaissance. En fait, le problème vient essentiellement de l'accompagnement. On croit que les musiques de Brel sont plus sophistiquées, parce que leur accompagnement est très riche, grâce aux arrangements de François Rauber et Gérard Jouannest. Mais si on prend les mélodies de Brel toutes seules, elles ne tiennent pas aussi bien que celles de Brassens. On croit que les musiques de Brassens sont simples, parce qu'il ne voulait pas chanter avec un orchestre. Il disait: quand tu chantes une chanson pour un copain, il n'y a pas un orchestre qui t'accompagne. Il voulait garder cette sorte de contact avec le public. D'autre part, il ne voulait pas qu'un accompagnement trop fourni détourne l'attention du texte. D'une part, on l'a vu, chez Brassens le texte et la musique tiennent le coup tout seuls. Mais d'autre part, elles marchent extrêmement bien ensemble. Et là, on touche à quelque chose qui dépasse la connaissance théorique de la musique: l'adéquation parfaite des notes au texte. Cela rejoint sans doute ce qu'on appelle en musique ancienne la «rhétorique de la musique». Cependant, mon expérience personnelle, moi qui ai une formation de théorie musicale, c'est que dans ce domaine il y a toujours quelque chose qui échappe à la théorie. Et c'est ce qui rend la musique fascinante. Le style de Brassens est nourri de plusieurs influences. D'une part, il y a la chanson italienne, qu'il a connue par l'intermédiaire de sa mère. Selon lui, son style de jeu de guitare se rattache à cette influence. D'autre part, il y a le jazz, la java, la vieille chanson française, et les marches. Mais il y a une composante très personnelle dans ce style, qui est très difficile à imiter. Il ne suffit pas de faire de la pompe à la guitare pour obtenir du Brassens. Il a un sens de la mélodie très original. En particulier, il a une manière de faire sautiller les notes, qui produit un effet énergique. Cela se traduit parfois par de très grands intervalles mélodiques. |